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La brusque fermeture du restaurant La Maison des Halles, à Neuchâtel, est venue rappeler à quel point le secteur de la restauration vit une période difficile.

A quel point? Pour quelles raisons? Qu’est-ce qui est entrepris pour y remédier?

Directrice de GastroNeuchâtel, la chambre cantonale de l’hôtellerie et de la restauration, Karen Allemann répond à nos questions.

Qu’avez-vous ressenti en apprenant la fermeture du restaurant La Maison des Halles, à Neuchâtel?

J’ai été très surprise, je ne m’y attendais pas. C’est, ou plutôt c’était, un restaurant emblématique de Neuchâtel. J’ai une pensée pour le personnel et pour les patrons, le couple Reichl, qui se sont investis sans compter durant près de 30 ans.

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Ils ont expliqué que cette fermeture s’expliquait par un cercle vicieux avec, à la base, un problème de recrutement de personnel. Un commentaire?

Le secteur de l’hôtellerie-restauration, en Suisse, a perdu 12 000 postes par rapport à la période préCovid. Il s’agit surtout de postes à temps partiel, avec un taux d’occupation de moins de 50%.

Le cercle vicieux commence au moment où il faut réduire les horaires, voire les jours d’ouverture. On règle ainsi le manque de personnel, mais cela débouche sur une baisse du chiffre d’affaires, alors que les charges fixes, elles, restent les mêmes.

En sous-effectif partout

On a aussi beaucoup entendu dire que la pandémie de Covid a modifié la «mentalité» du personnel dans le secteur de la restauration. Vous confirmez?

Oui. En raison de la pandémie, les établissements publics ont dû fermer 247 jours, soit durant plus de huit mois. Cela a donc débouché sur des suppressions de postes, mais aussi des baisses de salaire en raison de la RHT (réd: indemnités versées en cas de réduction de l’horaire de travail), des incertitudes quant à l’avenir, bref, tout cela a fortement nui à l’attrait de la branche.

En janvier 2023, un quart des établissements de l’hôtellerie-restauration, en Suisse, fonctionnaient en sous-effectif. Rapporté au canton de Neuchâtel, cela fait 200 établissements sur environ 800.

Et qu’en est-il des salaires?

Grâce à la CCNT (réd: convention collective nationale de travail), ce n’est pas un critère déterminant. Le travail du week-end non plus d’ailleurs. La principale contrainte mentionnée par les employés, c’est l’horaire coupé, c’est-à-dire le fait qu’il n’y a pas de travail de 15h à 17h approximativement.

L’idéal, ça serait de pouvoir confier des tâches durant cette période, par exemple du travail administratif. Mais cela ne va pas de soi. Et pour les clients, le repas de midi sera toujours à midi et le repas du soir toujours le soir…

Résultats en négatif

Les remboursements des crédits Covid pèsent-ils également sur la branche?

Oui. C’est la branche qui a le plus sollicité ces crédits. Environ 85% des demandes ont émané d’entreprises de la restauration.

Actuellement, seulement un restaurant sur cinq a pu rembourser intégralement son crédit Covid, ce qui montre que le secteur ne s’est pas encore remis de la pandémie.

Il faut dire que le rendement, autrement dit le bénéfice net, à l’heure actuelle, est proche de zéro pour la majorité des établissements. Il y a même eu des années négatives. Lorsque j’ai commencé à GastroNeuchâtel, il y a 17 ans, le rendement moyen tournait autour de 5,5%.

Pourtant, l’évolution du nombre de faillites dans le canton de Neuchâtel ne témoigne pas d’un effondrement: 15 en 2021, 14 en 2022, 17 en 2023…

Il ne faut pas confondre faillite et fermeture. Les faillites ne sont pas courantes dans notre branche. Ce qui se produit plus souvent, c’est une cessation d’activité, par exemple à la fin d’un bail à loyer. Ou lorsqu’un patron ou une patronne arrête sans qu’il y ait de repreneur.

Cela dit, selon GastroSuisse, il y a actuellement un signe d’augmentation des faillites. Et les derniers chiffres montrent que plus de 80% des restaurants, dans notre pays, craignent de rencontrer des difficultés financières en raison de la hausse des coûts d’exploitation. Ce pourcentage a presque triplé en l’espace d’une année. Il y a un immense défi en termes de rentabilité.

Une vaste offre

On entend aussi dire que les fermetures des cafés-restaurant s’expliquent, tout simplement, par un nombre trop élevé d’établissements par rapport à la demande…

Je ne crois pas que l’on puisse dire cela. Dans le canton de Neuchâtel, on compte 3,2 cafés-restaurants pour 1000 habitants. Ce chiffre est plus élevé dans les cantons où le tourisme attire davantage de monde.

Ce que l’on peut constater, par exemple, c’est un problème d’ordre géographique: un trop grand nombre de restaurants sur une petite surface. Ou alors un problème par domaine d’activité: s’il y a quatre pizzerias dans un village, il y en a peut-être une de trop.

Que fait GastroNeuchâtel pour venir en aide aux restaurants en difficulté?

Je crois pouvoir dire que nous proposons beaucoup de choses. Et le message que j’aimerais faire passer, c’est ceci: quand la maison est en feu, il est trop tard pour mettre en place un système incendie.

Ce que je veux dire par là, c’est que nous côtoyons beaucoup de patrons investis, qui ont tellement le nez dans le guidon, et cela à longueur de journée, qu’ils n’ont pas l’opportunité de prendre un peu de recul. Et donc de prendre conscience que nos métiers ont changé.

Chaque restaurant est unique

C’est-à-dire?

Il n’est plus possible, aujourd’hui, d’être un patron qui fait tout, de l’achat des matières premières au travail administratif, en passant par la cuisine, le service, le marketing, les ressources humaines ou encore la diffusion de posts sur les réseaux sociaux.

Sans compter que chaque restaurant est unique en son genre: emplacement, accès, nombre d’employés, gamme de prix, mets proposés, clientèle visée, etc. C’est la raison pour laquelle nous avons créé une «capsule de conseils» pour évaluer les besoins de chacun. Le restaurateur est ensuite dirigé vers différentes formations, mais aussi vers des professionnels de la branche pour être conseillé.

Nous avons par ailleurs créé il y a deux ans un groupe de réseautage et d’échanges entre pairs appelé «la Suite», avec cinq rencontres par année, et c’est un succès.

Je n’aimerais pas oublier celles et ceux qui se lancent: de très jeunes entrepreneurs ouvrent des établissements avec une diversité intéressante, une créativité débordante et ils apportent une dynamique positive et une belle image de notre branche.